Fondation des Maristes de Puylata Menu

Spiritualité Mariste

 

Comment s’initier à la spiritualité mariste?

Trois mots peuvent suffire: Fourvière, Cerdon, le Bugey. Ces noms de lieux symbolisent trois étapes par lesquelles on pénètre dans l’univers de la spiritualité mariste. Fourvière, c’est une chapelle consacrée à la sainte Vierge, située sur une colline qui domine la ville de Lyon. Le 23 juillet 1816, douze séminaristes signèrent là une promesse de travailler à faire exister la Société de Marie. Fourvière représente l’étape de l’engagement dans le projet mariste. Cerdon, c’est un village à l’est de Lyon où Jean-Claude Colin fut vicaire pendant neuf ans, de 1816 à 1824. Pendant ces années, Colin commença à comprendre comment le fait de porter le nom de Marie (mariste) pouvait inspirer toutes ses pensées et ses actions. Cerdon représente l’étape de l’approfondissement de la spiritualité mariste. Le Bugey, c’est une région autour de Cerdon où les premiers Maristes prêchèrent des missions paroissiales. Ils découvrirent là comment l’esprit de Marie les aidait à rejoindre des gens hostiles à la religion. Le Bugey représente la dimension apostolique de l’esprit mariste.

Le parcours de Fourvière

Étienne Déclas entendit parler pour la première fois du projet d’une société de Marie, alors qu’il étudiait pour devenir prêtre au grand séminaire de Lyon en 1814. Étienne avait déjà trente-deux ans, plutôt vieux dans un séminaire où la plupart des deux cents étudiants avaient entre vingt et vingt-cinq ans. Dans ce temps-là, le mercredi était jour de congé, et les séminaristes quittaient le vieux bâtiment de la ville pour prendre l’air à la maison de campagne, située sur une colline qui domine Lyon. Comme d’habitude, ils prenaient le repas en silence pendant que l’un d’eux leur lisait un livre à haute voix. Autour de Pâques, un nouvel étudiant était arrivé d’un autre séminaire où il avait commencé à étudier la théologie. Il s’appelait Jean-Claude Courveille, il avait presque trente ans, et il ruminait un projet dont il fit part à Déclas.

 «un mercredi, jour de congé»: Le père Déclas, faisant les cheveux à monsieur Courveille, entendit ce dernier lui dire, à propos de la Vie de saint François Régis qu’on lisait au réfectoire: «Si, comme saint François Régis, nous faisions des missions dans les campagnes. Nous irions à pied, simplement, usant de la nourriture des paysans. Nous mangerions du lait, du pain des campagnards. Nous les instruirions, et ces gens-là auraient ainsi l’avantage d’avoir d’autres confesseurs que leurs curés» (OM, doc. 868, § 2). Pour Étienne Déclas, c’était le début d’une histoire qui l’amena à signer, à Fourvière, le 23 juillet 1816, la promesse de travailler à fonder la Société de Marie. Vingt ans plus tard, il fit ses vœux comme mariste et passa le reste de sa vie à prêcher des retraites paroissiales dans les villages de campagne. Ce petit récit peut servir de point de départ pour une réflexion sur notre engagement dans le projet mariste. 

Nous sommes toujours au grand séminaire de Lyon, mais quelques mois plus tard, après les vacances de l’été 1815, c’est-à-dire après la Toussaint, date de la rentrée scolaire. Terraillon avait vingt-quatre ans (Déclas en avait trente-deux). Pour savoir ce qui s’est passsé en 1815 et 1816, nous n’avons pratiquement pas de documents qui remontent à ces années-là. Nous avons seulement des récits qui ont été mis par écrit au moins vingt-cinq ans plus tard. Dans le cas d’Étienne Terraillon, nous avons deux récits qui viennent de lui. Le premier a été écrit de sa main vers 1840; le deuxième a été entendu et mis par écrit par le père Mayet vers 1850.

Dans son récit de 1840, Terraillon écrit: La première idée de la Société de Marie est due à Notre Dame du Puy. Mr Courveil étoit atteint d'une infirmité grave. Que fait-il pour en obtenir la guérison? Comme il avoit en Marie une pleine confiance, il s'adresse à cette bonne Mère. Pour s'assurer plus efficacement sa puissante protection, il se voue à Notre Dame du Puy. Il se rend donc avec empressement à ce célèbre pèlerinage, s'acquitte de son vœu, et son indisposition disparoît, Dès lors sa reconnoissance est sans borne. Il examine ce qu'il pourra faire pour la témoigner à une si bonne Mère. Après avoir réfléchi, il se dit à lui même : Partout où Jésus a des autels, Marie a ordinairement à côté son petit autel. Jésus a sa Société, il faudroit donc que Marie eût aussi la sienne. Rempli de cette heureuse idée, il pense sérieusement à sa réalisation.

C'étoit vers 1815. Il arrive au grand séminaire de Lyon et s'occupe incessamment de l'exécution de son pieux projet. Pour cela il jette ses regards sur les élèves de cet établissement, pour voir ceux qui sembleroient avoir vocation. Le premier auquel il communiqua son dessein fut Mr Déclat de Belmont. Cette ouverture frappa singulièrement ce séminariste et le laissa profondément impressionné. Au sortir de là il s'entousiasme de ce projet, et ne pense qu'à le communiquer aux sujets qu'il juge propres à contribuer à son exécution. Il s'adresse d'abord à Mr Colin ou à moi. Il ne se souvient pas auquel des deux il en parla le premier. Il débute auprès de l'un et de l'autre par les paroles que Mr Courveil s'étoit adressées à lui même : Jésus a sa Société, il faudroit donc que Marie eût aussi la sienne. Cette communication nous frappa pareillement au suprême degré et nous laissa comme stupéfaits. Nous nous fîmes ensuite part de nos impressions mutuelles, et nous nous déterminâmes à nous prêter résolument à l'exécution d'un projet qui nous avoit ravi à la première ouverture qui nous en fut faite. Dès ce moment nous commençâmes à nous réunir tous les quatre. Dans ces réunions nous nous enthousiasmons mutuellement du bonheur de nous vouer à la réussite d'une si belle œ uvre. Nous prîmes d'abord la résolution de ne pas faire bruit de notre projet, mais de nous occuper sérieusement des moyens de le conduire à une heureuse fin. Pour cela nous arrêtâmes que chacun de son côté examineroit les sujets qui lui paroîtroient propres à l'œuvre que nous méditions, et qu'avant de leur rien dire, nous en parlerions entre nous, pour ne pas aller trop vite. Pour cela nous nous réunissions le plus souvent que nous pouvions, sans cependant nous faire remarquer, ce que nous évitâmes toujours avec le plus grand soin. Nous mîmes dans notre secret Mr Cholleton professeur de morale. Au besoin nous prenions ses avis. Le lieu de nos réunions étoit le plus ordinairement les bosquets du jardin de la maison de campagne. Quelque fois nous nous assemblions dans une des chambres de la maison ou ailleurs, suivant les circonstances. Nous profitions de ces réunions pour nous enflammer dans nos désirs, tantôt par la considération du bonheur d'être les premiers enfans de Marie, tantôt par celle du grand besoin des peuples.

Dix ans plus tard, le père Mayet écrivait:

En 1850, décembre environ, le P. Terraillon me dit: Quand, au grand séminaire, nous formâmes ce projet, nous disions: Il y a une Société de Jésus; il y aura une Société de Marie. Partout où on élève un autel à Jésus, il y a un autel pour Marie. Un corps porte le nom de Jésus; un autre doit porter le nom de Marie. C’était notre pensée dominante. Ce que font les Jésuites sous leur vocable nous montrait ce que nous devions faire sous le nôtre. Il y a deux choses à remarquer dans ce que dit Terraillon:  Le parallèle entre autel de Jésus et autel de Marie et Société de Jésus et Société de Marie. C’est comme la règle de trois: si 4 est à 8 comme 6 est à X, quelle est la valeur de X? Vingt-cinq ans après les faits, Terraillon a retenu la réflexion qu’il attribue à Courveille: «Partout où Jésus a des autels, Marie a ordinairement à côté son petit autel. Jésus a sa Société, il faudroit donc que Marie eût aussi la sienne.» Dix ans plus tard, l’idée est exactement la même: «Partout où on élève un autel à Jésus, il y a un autel pour Marie. Un corps porte le nom de Jésus; un autre doit porter le nom de Marie.» 

Retenons aussi ce que dit Terraillon au sujet des rencontres au grand séminaire: «Nous profitions de ces réunions pour nous enflammer dans nos désirs, tantôt par la considération du bonheur d'être les premiers enfans de Marie, tantôt par celle du grand besoin des peuples». Jean Coste faisait remarquer qu’on trouve dans cette phrase de Terraillon deux dimensions clés de la spiritualité mariste: d’une part, le sentiment d’appartenir à la famille de Marie; c’est la vocation des Maristes; d’autre part, la perception du besoin des gens; c’est la mission de la Société de Marie. Dès le début, les Maristes croient que Marie les appelle à faire partie de sa famille et qu’elle leur confie une mission.

Dans Fourvière 1, nous nous rappelions comment Étienne Déclas fut le premier que Jean-Claude Courveille invita à se joindre au projet mariste. Dans Fourvière 2, nous avons évoqué la figure d’Étienne Terraillon, selon qui Courveille disait: «autel de Jésus, autel de Marie; Société de Jésus, Société de Marie».

Dans Fourvière 3, nous verrons comment Courveille lui-même racontait avoir reçu l’inspiration de la Société de Marie. Le récit de Courveille n’a été mis par écrit qu’en 1852, quarante ans après les faits, alors que Courveille était devenu moine bénédictin à Solesmes. Les mots entre guillemets sont de lui (il parle de lui-même à la troisième personne): «À l’âge de 10 ans», donc en 1797, «il fut atteint de la petite vérole, qui lui avait abîmé les yeux; il ne voyait presque plus.» D’où l’impossibilité d’étudier pour être prêtre, comme il aurait aimé le faire, sans doute pour marcher sur les traces de son oncle maternel, Mathieu Beynieux, curé d’Apinac, paroisse voisine d’Usson. En 1809, ayant frotté ses yeux avec l’huile de la lampe qui brûle devant la statue de Notre-Dame du Puy, il «distingua parfaitement les plus petits objets qui étaient dans la cathédrale et depuis il a toujours joui d’une vue excellente». L’année suivante, sans doute le 15 août, Jean-Claude Courveille était de nouveau au Puy, en pèlerinage de reconnaissance. Il avait vingt-trois ans, désirait se faire prêtre, et promit «à la sainte Vierge de se dévouer tout entier à elle, de faire tout ce qu’elle voudrait pour la gloire de notre Seigneur, pour son honneur à elle, pour le salut des âmes». Deux ans plus tard, lors du même pèlerinage, donc le 15 août 1812 (cf. OM, doc. 714), il entend dans son cœur Marie qui lui dit: Voici ... ce que je désire. Comme j’ai toujours imité mon divin Fils en tout, et que je l’ai suivi jusqu’au Calvaire, me tenant debout au pied de la croix lorsqu’il donnait sa vie pour le salut des hommes, maintenant que je suis dans la gloire avec lui, je l’imite dans ce qu’il fait sur la terre pour son Eglise, dont je suis la protectrice et comme une armée puissante pour la défense et pour le salut des âmes. Comme, dans le temps d’une hérésie affreuse qui devait bouleverser toute l’Europe, il suscita son serviteur Ignace pour former une société qui portât son nom en se nommant Société de Jésus et ceux qui la composaient Jésuites, pour combattre contre l’enfer qui se déchaînait contre l’Eglise de mon divin Fils, de même je veux, et c’est la volonté de mon adorable Fils, que dans ces derniers temps d’impiété et d’incrédulité, il y ait aussi une société qui me soit consacrée, qui porte mon nom et se nomme la Société de Marie et que ceux qui la composeront se nomment aussi Maristes, pour combattre contre l’enfer... (OM, doc. 718, § 5). Deux longues phrases de structure semblable situent la vocation de la Société de Marie dans l’histoire de l’Église. Celui qui dit les avoir entendues les a mises par écrit quarante ans plus tard, alors qu’il était devenu moine bénédictin. Il serait bien surprenant qu’après une aussi longue maturation nous retrouvions là les mots mêmes que Courveille rapportait à ses compagnons du séminaire. Les conversations qui gagnaient des recrues à la Société de Marie ont cependant laissé dans les récits des premiers aspirants d’autres échos qui nous aident à combler cette distance. Étienne Terraillon, par exemple, avait retenu des entretiens de Courveille une formule qu’il reprenait fidèlement dans ses récits des origines: «Partout où Jésus a des autels, Marie a aussi son petit autel à côté. Jésus a sa société, il faudrait donc que Marie eût aussi la sienne» (OM, doc. 705; 750, § 1 et 3; 798, § 2).

Dans son propre récit, Courveille ne parle pas d’autel, et cette image provient sans doute de Terraillon, mais le parallèle entre Société de Jésus et Société de Marie forme la substance de la deuxième phrase du moine bénédictin. La première phrase, construite sur la comparaison entre Marie au pied de la croix et Marie dans la gloire maintenant, reflète probablement une autre facette de l’inspiration dont parlait Courveille à ses compagnons, celle que Jean-Claude Colin a reformulée dans la phrase attribuée à Marie: «J’ai été le soutien de l’Église naissante; je le serai encore à la fin des temps.» [extrait de G. Lessard, Devenir mariste, p. 20-22] Ces deux longues phrases de Courveille nous aident à entrevoir à quoi rêvaient les premiers Maristes et à quoi nous sommes invités à rêver en tant que Maristes aujourd’hui.

Première phrase: Marie sur terre et Marie au ciel. Marie partageait la mission de Jésus jusqu’à sa mort; maintenant qu’elle est avec lui, elle continue de partager son souci de l’Église. Marie s’intéressait à l’œ uvre de Jésus quand Jésus marchait sur notre terre; elle continue de le faire maintenant qu’elle est avec lui auprès du Père. Les Maristes parlaient du rôle de Marie dans l’Église d’une manière qui se rapproche de ce que dit le concile Vatican II dans l’avant-dernier paragraphe de la constitution Lumen gentium: 68. Si la Mère de Jésus, déjà glorifiée au ciel en son corps et en son âme, est l'image et le commencement de ce que sera l'Eglise en sa forme achevée, au siècle à venir, eh bien! sur la terre, jusqu'à l'avènement du jour du Seigneur (cf. II Petr. 3, 10), elle brille, devant le Peuple de Dieu en marche, comme un signe d'espérance certaine et de consolation. Le peuple de Dieu en marche, c’est nous; Marie est maintenant ce que l’Église est appelée à être. Nous Maristes sommes appelés à travailler pour que l’Église devienne peu à peu ce qu’est Marie maintenant. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour nous dans notre vie de tous les jours?

Deuxième phrase: les Jésuites au temps de la réforme protestante; les Maristes au temps de la révolution française. Le rôle des Jésuites a été de défendre l’Église contre les attaques des protestants; ils l’ont fait par leur sainteté et par leurs compétences intellectuelles. Le rôle des Maristes est de défendre l’Église contre les attaques de la révolution par leur sainteté et par leur approche pastorale, en désarmant par leur humilité et leur douceur ceux qui en veulent à l’Église. Le climat antireligieux et anticlérical qui règne dans bien des esprits empêche beaucoup de gens de s’ouvrir à la bonne nouvelle du royaume. Les Maristes apprennent de Marie à désamorcer l’hostilité envers l’Église. Quand Colin parle d’être inconnus et cachés, c’est cela qu’il veut dire.

Replaçons-nous au grand séminaire de Lyon pendant l’année scolaire qui va de la Toussaint 1815 au mois de juillet 1816. L’année précédente, Jean-Claude Courveille avait lancé l’idée de la Société de Marie et avait recruté Étienne Déclas pour en faire partie. Après les vacances, d’autres séminaristes se joignirent à eux. Étienne Terraillon fut un des premiers, suivi de près par Marcellin Champagnat. Comme les autres, Marcellin vient de la campagne, mais pendant la révolution son père a joué un certain rôle dans les rangs des révolutionnaires. En 1800, à onze ans, Marcellin fait sa première communion et reçoit la confirmation.

En avril 1804, un prêtre à la recherche de vocations lui dit qu’il doit étudier le latin et se faire prêtre. En juin, mort de son père Jean-Baptiste, âgé de quarante-neuf ans. Marcellin est le plus jeune de cinq frères et sœurs. Champagnat écrira plus tard: «je ne parvins à savoir lire et écrire qu’avec des peines infinies, faute d’instituteurs capables» (OM, doc. 755, § 1). À la Toussaint 1805, Marcellin entre au petit séminaire de Verrières; il y reste jusqu’en juillet 1813. Le 24 janvier 1810, sa mère meurt.

Le 19 janvier 1812, alors qu’il a vingt-deux ans, Marcellin écrit dans son carnet de notes intimes: O mon Seigneur et mon Dieu, je vous promets de ne plus vous offenser, de faire des actes de fois, d’espérance et autres semblables toutes les fois que j’y penserai, de ne jamais retourner au cabaret sans nécessité, de fuir les mauvaises compagnies; et en un mot de ne rien faire qui soit contre votre service, mais au-contraire de donner de bons exemples, de porter les autres à pratiquer la vertu autant qu’il sera en moi; d’instruire les autres de vos divins préceptes, d’apprendre le catéchisme aux pauvres aussi bien qu’aux riches. Faites, mon divin Sauveur, que j’accomplisse fidèlement toutes les résolutions que je prends (OM, doc. 12, § 1). «Apprendre le catéchisme aux pauvres aussi bien qu’aux riches». Quand il prend cette résolution, Marcellin a vingt-deux ans. Presque deux ans plus tard, en novembre 1813, il entre au grand séminaire de Lyon. Encore deux ans plus tard, il entend parler du projet de Société de Marie et décide d’en faire partie, mais il a son idée sur ce qu’il veut y faire. Voici ce que raconte son premier biographe: Dans le plan de la nouvelle Association, aucun de ces Messieurs n’avait pensé aux Frères enseignants. L’Abbé Champagnat seul conçut le projet de leur institution, et lui seul l’a mis à exécution. Souvent, il disait à ses Confrères: «Il nous faut des Frères, il nous faut des Frères pour faire le Catéchisme, pour aider aux Missionnaires, pour faire l’Ecole aux enfants». On ne lui contestait pas qu’il ne fût bon d’avoir des Frères; mais comme leur Institution n’était pas entrée dans le plan de la nouvelle Société, on n’attachait à l’incessante répétition, il nous faut des Frères, qu’une médiocre importance. A la fin, on finit par lui dire: «Eh! bien, chargez-vous des Frères puisque vous en avez eu la pensée». Il accepta volontiers cette mission; et dès ce moment, tous ses vœux, tous ses desseins, tous ses travaux eurent pour but la création de cette œuvre».

En 1984, Jean Coste a écrit une étude éclairante sur Le mandat donné par ses compagnons à Marcellin Champagnat en 1816. L’œuvre de Marcellin Champagnat a vécu de sa vie propre. Elle accomplit encore un bien immense dans l’Église. Mais elle a pris naissance au sein du grand projet de Société de Marie, et son fondateur est mort père mariste. Les frères maristes sont donc loin de nous être étrangers.

Le thème de Fourvière nous a menés au grand séminaire de Lyon en 1815 et 1816. Quittons Lyon et rendons-nous au petit village de Coutouvre, une soixantaine de kilomètres dans la direction nord-ouest. Belle campagne. Un gros village d’environ mille sept cents habitants. Là habitent deux amies, Jeanne-Marie Chavoin et Marie Jotillon. La première aura bientôt trente ans, la deuxième vingt-cinq. Si elles avaient voulu se marier, ce serait déjà fait. Il y a une dizaine d’années, Philibert Lefranc, un séminariste en vacance chez le curé, leur a donné le goût d’une vie spirituelle intense. Depuis ce temps-là, elles cherchent. Il y a bien des couvents où elles seraient accueillies volontiers, mais ce n’est pas ce qui les attire. Un beau jour, fatiguée d’attendre, la plus jeune, Marie Jotillon, décide de se joindre à un tout petit groupe qui commence quelque chose de neuf. Cela se passe à Belleville, directement au nord de Lyon, sur la Saône. Marie Jotillon n’a pas atterri là par hasard: le curé de Belleville est l’abbé Gabriel Captier. Trente-cinq ans plus tôt, à peine ordonné prêtre, Captier avait été nommé vicaire à Saint-Bonnet-le-Troncy, le village où habitait la famille Colin. Il y passa cinq ans, mais il resta ensuite en contact avec la famille Colin, et on n’est pas surpris de retrouver, dans le petit groupe qui commence chez lui, la sœur de JeanClaude Colin, Jeanne-Marie. Comme, en plus, Pierre Colin, le frère de Jean-Claude, a été quatre ans vicaire à Coutouvre, on comprend que Marie Jotillon ait pu se retrouver à Belleville. Elle n’y resta pas. Au bout de quelques mois, elle revint à Coutouvre et reprit sa vie de prière et de charité avec Jeanne-Marie Chavoin. L’année suivante, en 1817, les deux jeunes femmes reçoivent un appel de Cerdon. Pierre Colin, leur ancien vicaire, les invite à venir commencer la branche des femmes de la Société de Marie. Pierre Colin n’avait pas signé la promesse de Fourvière en juillet 1816, mais dès qu’il avait pris connaissance du projet mariste de Jean-Claude, il s’était joint au groupe des signataires. Grâce à lui. Jeanne-Marie Chavoin et Marie Jotillon devinrent aussi membres fondateurs de la Société de Marie. Elles aussi peuvent être considérées comme signataires de la promesse de Fourvière. Vous trouverez dans les ressources le texte où, après la mort de son amie, Jeanne-Marie Chavoin raconte l’histoire de Marie Jotillon (OM, doc. 759, § 1-6).

Replaçons-nous encore une fois au séminaire Saint-Irénée en 1816. Le groupe d’aspirants maristes approche de la douzaine. Étienne Déclas, Étienne Terraillon et Marcellin Champagnat font partie du groupe. La plupart de ses membres sont en troisième année de théologie et seront ordonnés prêtres le 22 juillet 1816. Parmi ces séminaristes se trouve Jean-Claude Colin. Il est relativement jeune (vingt-cinq ans), pas très grand, bon étudiant.

Comment fut-il recruté? Je reprends ici un passage de la brochure «Devenir mariste» (p. 26-28): Qui parla d’abord à Jean-Claude Colin du projet mariste? Terraillon assure que ce fut Étienne Déclas (OM, doc. 750, 3). Déclas affirmait en 1842 et en 1844 que Courveille luimême avait recruté Colin (OM, doc. 551, § 2, et 591, § 8). Un récit remontant à Déclas et qui nous parvient par le père Detours fournit, en tout cas, les détails les plus pittoresques.

Pendant les vacances de l’été 1815, Courveille et Déclas avaient correspondu au sujet de l’idée lancée par Courveille: Au retour [donc, à la Toussaint 1815], on commença à glisser cette idée à d’autres. On se réunissait dans la chambre de monsieur Cholleton dans ce but. C’est de cette chambre et de cette réunion que le père Déclas sortit un jour pour aller chercher en récréation le petit Colin, comme on l’appelait. Le père Colin vint et, l’idée lui étant agréable, il consentit à faire partie de la réunion (OM, doc. 868, § 2). «L’idée lui étant agréable». L’expression est bien inoffensive. Nous sommes pourtant invités à l’entendre au sens le plus fort du mot. Les notes recueillies en 1869 par le père Jeantin rapportent en effet un propos du père Colin, alors presque âgé de quatre-vingts ans, qui éclaire singulièrement le sens de l’expression «l’idée lui étant agréable». Jeantin écrit à propos du père Colin: Il disait encore: «Cette idée (de former une Société de Marie) m’a été très utile. Que de fois on a voulu m’associer tantôt à une œuvre, tantôt à une autre! Avec cette idée, rien de tout cela ne me convenait. Mais dès que l’abbé Courveille manifesta le projet d’une Société de Marie, je me dis: Voilà qui te va! et je m’unis à eux» (OM, doc. 819, § 9). Quelle idée Jean-Claude Colin avait-il donc en tête qui l’immunisait contre la séduction d’autres projets? Autant il a affirmé tout au long de sa vie l’existence d’une telle idée, autant, à la fin de sa vie, il a résisté aux efforts du père Jeantin pour lui en faire préciser le contenu.

Dès 1824, en effet, alors que Jean-Claude Courveille est reconnu comme celui qui a pensé à la Société de Marie et qui y travaille extérieurement depuis huit ans, Jean-Claude Colin déclare à l’administrateur apostolique du diocèse de Lyon qu’il existe «des personnes qui, sans avoir travaillé extérieurement à l’œuvre, en avaient conçu le projet avant que personne n’y pensât» (OM, doc. 117, § 4). Trente ans plus tard, en 1854, le père Colin écrivait encore, à propos du projet lancé au grand séminaire en 1815 et 1816, que ce projet avait été «conçu et médité auparavant» (OM, doc. 753, § 1).

En 1868, le père Jeantin formulera ainsi, peut-être en le durcissant, ce qu’il avait compris de la pensée du père Colin: «Le rôle de M. Courveille s’était borné à faire connaître extérieurement une idée que d’autres avaient eue sans lui» (OM, doc. 813, § 2). Par contre, lorsqu’il essaiera de faire dire au père Colin en quoi consistait son idée, le père Jeantin n’obtiendra que des résultats fort décevants, du moins si l’on s’engage sur la piste qui semble avoir été la sienne, à savoir que le projet lancé par Courveille au grand séminaire était identique à celui que Colin nourrissait déjà en lui. Si, prenant soin de ne pas forcer la pensée de Colin, on se laisse guider par lui, on se retrouve non devant un projet structuré de fondation d’une congrégation religieuse, mais devant des aspirations de jeunesse qui remontent loin et qui ont encore le pouvoir d’émouvoir Colin à la fin de sa vie. Jeantin a noté en 1869: Il raconta un jour qu’étant encore bien jeune, avant de commencer ses études classiques, il avait un désir ardent de se retirer seul dans un bois, pour y vivre loin du monde et que, ne pouvant exécuter ce projet, qu’il se rendit au petit séminaire de Saint-Jodard. Au souvenir de cette époque de sa vie, il disait en pleurant: Alors j’étais bien plus fervent et plus dévot à la sainte Vierge que maintenant (OM, doc. 819, § 7).

Nous avons vu plus haut que le jeune Jean-Claude était entré à Saint-Jodard non pour être prêtre, mais pour se «retirer du monde» (OM, doc. 499, 2). Nous n’en apprendrons pas beaucoup plus sur le désir d’aller vivre dans les bois qui mena le jeune Colin au séminaire. Mais nous sentirons peut-être mieux ce qui, onze ans plus tard, quand il fut invité à se joindre au groupe des aspirants maristes, fit dire au petit Colin: «Voilà qui te va!»

Le point de départ du parcours des premiers Maristes, c’est le jour de 1815 où Étienne Déclas entend parler d’un projet de Société de Marie. Cela se passe au grand séminaire de Lyon. JeanClaude Courveille a entendu dans son cœur la Vierge Marie lui dire: Je veux qu’il y ait une Société de Marie. Il y a une Société de Jésus; je veux qu’il y ait une Société de Marie. Étienne Déclas dresse l’oreille. D’autres compagnons aussi. Le milieu de mon parcours consiste à découvrir ce que veut dire être mariste, porter le nom de Marie. Cela veut dire deux choses: Marie m’appelle et Marie m’envoie. Elle m’appelle par mon nom et elle me veut dans sa famille. Elle m’envoie remplir une tâche: elle veut que je la rende présente dans l’Église où je me trouve. En tant que mariste, j’ai à faire en sorte que l’Église apparaisse sous le visage de Marie. Le milieu du parcours des premiers Maristes, ce sont les mois pendant lesquels ils discutent ce que va être la Société de Marie: qui va en faire partie? quel va être son rôle dans l’Église de leur temps? Après la révolution française, l’Église est à rebâtir, mais elle ne peut plus être ce qu’elle était avant la révolution. Elle va devoir être à l’image de Marie dans l’Église primitive: femme de foi inconnue et cachée.

Le point d’arrivée de mon parcours de Fourvière, c’est le moment où je m’engage: j’accepte de porter le nom de Marie et de prendre sur moi la tâche qui m’est confiée.

Le point d’arrivée du parcours des premiers Maristes, c’est la promesse signée le 23 juillet 1816 dans la chapelle de Notre-Dame de Fourvière: faire exister la Société de Marie.

Voici le texte de la promesse: Formulaire d’engagement des premiers aspirants maristes utilisé lors de la cérémonie de consécration à Fourvière le 23 juillet 1816 (OM, doc. 50, traduit du latin).

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Tout pour une plus grande gloire de Dieu et un plus grand honneur de Marie, mère du Seigneur Jésus. " Nous soussignés, désireux de contribuer à une plus grande gloire de Dieu et à un plus grand honneur de Marie, mère du Seigneur Jésus, affirmons et manifestons notre intention sincère et notre ferme volonté de nous consacrer, dès qu’il sera possible, à former la très pieuse congrégation des Maristes. C’est pourquoi, par le présent acte et par notre signature, nous consacrons sans appel, pour autant que nous le pouvons, nous-mêmes et tous nos biens à la Société de la sainte Vierge.

Ce que nous faisons, non en enfants ni à la légère, non dans quelque but humain ou par espoir de gain temporel, mais avec sérieux, maturité, après avoir pris conseil et tout pesé devant Dieu, uniquement en vue d’une plus grande gloire de Dieu et d’un plus grand honneur de Marie, mère du Seigneur Jésus.

Nous nous offrons à toutes les peines, travaux, embarras et, s’il le faut un jour, aux tortures, car nous pouvons tout en celui qui nous rend forts, le Christ Jésus.

C’est à lui que, par là même, nous promettons fidélité au sein de notre sainte mère, l’Eglise catholique romaine, nous attachant de toutes nos forces à son chef suprême, le pontife romain, ainsi qu’au révérendissime évêque, notre ordinaire, de manière à être de bons serviteurs du Christ Jésus, nourris des paroles de la foi et de la belle doctrine que nous avons suivie par sa grâce. Confiants que, sous le règne de cet ami de la paix et de la religion qu’est notre roi très chrétien, cette institution viendra sous peu à la lumière, nous nous engageons solennellement à dépenser nous-mêmes et tous nos biens pour sauver les âmes par tous les moyens sous le nom très saint et avec l’appui de la Vierge Marie. Tout ceci sauf le jugement des supérieurs.

Louée soit la sainte et immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie. Amen. "

Le parcours de Cerdon .

Quelqu’un (JeanClaude Courveille) m’a dit: «Marie désire une société qui porte son nom». L’Église vit une période de crise; Marie veut lui être présente comme elle l’a été au moment où l’Église prenait naissance. Elle lui sera présente par les personnes qui accepteront de porter son nom.

Par les Maristes, Marie sera présente à l’Église en ces temps difficiles. Pour répondre au désir de Marie, je m’engage à faire partie de sa société. Elle m’invite à porter son nom. J’accepte, en comprenant que cela m’engage à faire honneur à ce nom et à remplir la mission qu’elle me confie. En faisant ce pas, je donne une direction à ma vie. Cerdon représente l’étape qui suit l’engagement, celle où je vais découvrir peu à peu le paysage spirituel de la spiritualité mariste. Comme on découvre un boisé à mesure que l’on avance sur le sentier qui y serpente, nous explorerons les différents aspects du monde spirituel mariste. Notre visite ne prétend pas faire le tour complet de cet univers. Nous choisirons sept moments, sept échantillons. Les paroles en question sont celles de Marie: “J’ai été le soutien de l’Église naissante; je le serai encore à la fin des temps”.

En 1848, Colin disait à leur propos: elles «ont été, tout à fait dans les commencements de la Société, ce qui nous a servi de fondement et d’encouragement. Elles nous étaient sans cesse présentes. On a travaillé dans ce sens, si je puis parler ainsi» (Entretiens spirituels, doc. 152).

Prise littéralement, cette déclaration de Colin signifie que les paroles de Marie agissaient en lui dès son arrivée à Cerdon. La Société de Marie a été bâtie sur elles. Elles donnaient du cœur aux premiers Maristes. Ceux-ci les gardaient toujours devant eux. Elles ont donné à la Société de Marie sa physionomie. Nous n’aurons jamais fini de les méditer. Commençons par les recevoir comme les a reçues Colin: Marie parle. Qu’elle parle à Jean-Claude Courveille et non à lui n’a pas d’importance. C’est elle qui parle. À travers ses paroles, nous nous situons dans l’Église comme elle-même s’y situe. L’Église est en train de naître et Marie est son soutien. Quoi de plus fragile qu’un être naissant? Qui a davantage besoin de soutien? L’Église naissante, ce sont quelques femmes et quelques hommes qui ont vu Jésus mort et qui disent qu’il est vivant. Qui va les croire? Beaucoup vont les croire. Beaucoup vont se rassembler pour entendre les paroles de Jésus, pour célébrer sa présence au milieu d’eux. Marie, la mère de Jésus, est avec eux. Par sa propre foi, elle les soutient dans leur foi. Deux mille ans plus tard, l’Église est redevenue aussi fragile qu’elle l’était au début. Il n’est pas plus facile de croire en Jésus ressuscité que ce pouvait l’être au lendemain de sa mort sur la croix. Au milieu du tapage qui remplit nos jours et nos nuits, la parole de Jésus a bien du mal à se faire entendre. Nous avons bien de la peine à nous retrouver autour de la table où Jésus nous donne sa chair à manger et son sang à boire.

Dans la société qui se construit, l’Église a encore à naître. Pour Jean-Claude Colin et pour les Maristes qui désirent apprendre de lui, Marie est le soutien de l’Église naissante de la fin des temps. Sa foi nous appartient. Nous pouvons nous appuyer sur elle. Nous aussi, comme Colin à Cerdon, pouvons travailler dans le sens des paroles de Marie: «J’ai été le soutien de l’Église naissante; je le serai encore à la fin des temps».

En Cerdon 1, nous avons entendu Colin nous dire combien les paroles sur Marie soutien de l’Église naissante lui étaient restées présentes dès les tout débuts et comment ces paroles l’avaient travaillé. On peut donc dire sans exagérer que dès son arrivée à Cerdon Colin vit sous l’influence de ces paroles de Marie. Elles donnent à sa vie sa direction. À partir d’elles prend forme ce qui va devenir la Société de Marie.

Avec Cerdon 2, nous abordons une autre dimension des années de Cerdon, qui touche davantage à la vie intérieure de Colin. Pendant ses années de séminaire, Colin était un jeune homme tourmenté, inquiet. Plus tard, il raconta à Pierre-Julien Eymard, qui le rapporta à Mayet, qu’il avait été «jusqu’à 25 ans accablé de peines d’esprit, de scrupules et d’angoisses» (OM, doc. 546).

Colin raconte aussi: «Au commencement que j’étais vicaire, pendant deux mois, je ne disois jamais une parole plus élevée que l’autre... On se plaignoit de tous côtés que j’étois froid, que j’étois mort» (OM, doc. 487, § 2). Or, Mayet nous rapporte aussi qu’à Cerdon Jean-Claude Colin était le prêcheur préféré des hommes: «Il annonçait la parole de Dieu avec vigueur et les hommes l’aimaient beaucoup. Quand il montait pour prêcher, les hommes disaient: C’est l’abbé, c’est l’abbé, et ils étaient bien contents» (OM, doc. 745, § 8). De timide et scrupuleux, Colin était devenu sûr de lui, épanoui. Que s’était-il passé? La réponse se trouve peut-être dans d’autres paroles de Colin: «Pendant 6 ans, j’ai éprouvé une douceur extrême en pensant à cette Société avec un clair sentiment que c’était l’œuvre de Dieu» (OM, doc. 447). Et encore: «Au commencement, quand je pensais à la Société, pendant 6 années, j’éprouvai une consolation sensible à sa pensée seule; quand j’apprenais quelque nouvelle, je m’épanouissais tout entier, mon visage rayonnait» (OM, doc. 519, § 7).

Vers la fin de sa vie, dans un passage dicté par lui, où chaque mot est pesé avec soin, Colin nous laisse entrevoir le secret de la douceur extrême, de la consolation sensible qui illumina ses six premières annés à Cerdon: «plein intérieurement d’une vive confiance équivalante à une espèce de certitude que le projet venait de Dieu et qu’il se réaliserait à la longue, [il] profita des moments libre que lui laissait le saint ministère pour en préparer le succè en jetant par écrit les premières pensées qui devaient servir de fondement aux constitution» (OM, doc. 815, § 3).

La Société de Marie, avec les règles qui lui donnent son visage particulier, trouve son origine dans le climat de bonheur qui enveloppa les premières années de Cerdon. Ce bonheur naît d’une certitude, un sentiment clair que la Société est l’œuvre de Dieu et donc qu’elle va se réaliser. L’exercice que nous propose Cerdon 2 consiste à nous demander: Est-ce que je crois que la Société de Marie est l’œ uvre de Dieu? Est-il vrai que Marie veut une société qui porte son nom? C’est une question que nous nous posons dans la prière. Je me recueille, je demande à l’Esprit de Dieu de m’éclairer, et je me demande: Est-ce que je crois que Marie veut sa société, et qu’elle m’appelle à en faire partie? Comment le savoir? Je n’ai pas besoin de miracles ni de révélations. Que j’aie trouvé sur ma route des Maristes et que je me sois senti attiré par le nom de Marie répond déjà à ma question. Et maintenant je demande au Seigneur qu’il augmente ma foi, qu’il rende plus solide ma certitude que la Société de Marie est son œuvre. À mesure que cette certitude grandira en moi, j’éprouverai la douceur extrême qui remplissait le cœur de Colin.

Questions pour la réflexion

1. Quand et où ai-je trouvé sur mon chemin la Société de Marie, les Maristes?

2. Quelle expérience me ferait dire que j’ai éprouvé un bonheur profond?

3. Quand je pense que je suis membre de la famille mariste, est-ce que j’y vois une manifestation de l’amour de Dieu pour moi?

Le 14 décembre 1833, Colin écrivait de Rome à Jeanne-Marie Chavoin, supérieure des sœurs maristes de Bon-Repos à Belley: «J’ai reçu votre lettre avec plaisir. Je ne suis pas surpris que vous souffriez beaucoup. Offrez toutes vos souffrances pour la réussite de l’œuvre, et soyez toujours pleine de confiance et d’abandon entre les mains de Dieu. Prenez courage au milieu de vos peines; il faut que nous enfantions dans la douleur la Société, comme notre bonne Mère nous a enfantés au pied de la croix, pour ses enfants adoptifs» (OM, doc. 296, § 4).

Jeanne-Marie Chavoin et Jean-Claude Colin étaient clairement sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne la Société de Marie. Leur entente remonte à plus de quinze ans, au moment où Jeanne-Marie Chavoin est venue s’établir à Cerdon avec sa compagne Marie Jotillon. Nous sommes en 1817. Jean-Claude est à Cerdon depuis un an. Son frère Pierre est désormais au courant du projet mariste et il invite deux anciennes paroissiennes de Coutouvre à venir mettre en marche la branche féminine de la grande Société de Marie.

Jeanne-Marie Chavoin et Marie Jotillon logent d’abord chez une petite communauté de sœurs de Saint-Joseph qui travaillent déjà à Cerdon. Cela ne dure guère qu’un an. Marie Jotillon est invitée à aller renforcer une communauté de filles de Marie fondée à Saint-Clair par Jean-Claude Courveille. Restée seule à Cerdon, Jeanne-Marie déménage au presbytère, où elle prendra la charge du ménage des deux abbés Colin. En même temps, elle accueille deux neveux de quatre et onze ans, les petits Millot.

Résultat: le presbytère de Cerdon abrite maintenant deux frères prêtres, une ménagère qui est venue fonder une congrégation religieuse, et deux enfants. Mettre en marche la Société de Marie est le grand rêve. Mais les vicaires généraux de Lyon ne sont pas disposés à libérer une douzaine de jeunes prêtres pour aller commencer au Puy un grand ordre religieux. Évoquant ces difficultés du début, Jeanne-Marie Chavoin racontait plus tard à Mayet: «Quand ces messieurs étaient comme anéantis par ces contrariétés, j’étais alors pleine de courage et je les animais. Puis, quelquefois aussi, quand ils étaient calmes, mon tour venait. Oh! c’étaient encore nos plus beaux moments. Un jour, ils reçurent une lettre qui les crucifia et le même 11 courrier apportait une réponse importante. Ces messieurs étaient abattus. Je leur dis: Allons à l’église. On y allait tous les trois. On priait une heure, une heure et demie, et l’on sortait de la prière en paix et content» (OM, doc. 513, § 3).

Questions pour la réflexion :

1. La vie d’une fraternité mariste dépend de chacun de ses membres. De quelle manière est-ce que je contribue à la vie de mon groupe?

2. La vie d’une communauté chrétienne dépend de chacun de ses membres. De quelle manière estce que je participe à la vie de ma communauté chrétienne? 3. De quelle manière notre fraternité mariste contribue-t-elle à l’animation de la communauté chrétienne?

Le 25 août 1833, de Belley, Jean-Claude Colin écrivait à Marcellin Champagnat: «Le moment de notre départ pour Rome arrive; je serai à Lyon jeudi matin 29 du courant. Plusieurs de nos confrères m’accompagnent jusqu’à Lyon; nous nous réunirons entre sept et huit heures du matin chez madame Chavassieu, petite rue Bombarde; de là, vers les huit heures, nous monterons tous à Fourvière pour notre voyage sous la protection de notre commune mère» (OM, doc. 283). Accompagné de Pierre Chanel et d’Antoine Bourdin, Colin partit de Lyon le 29 août, arriva à Rome le 15 septembre et ne revint à Belley que quatre mois plus tard.

À son retour, Colin écrivit à Champagnat: «Le but de mon voyage était uniquement de consulter sur notre entreprise et d’accomplir un vœu que j’avais fait depuis longtemps de travailler à l’œuvre jusqu’à ce qu’elle eût été soumise au souverain pontife» (OM, doc. 307). Pour nous faire une idée de ce qui a poussé Colin à faire ce vœu, le mieux est encore de l’écouter raconter ce qui se passait en lui à l’époque où il se vit obligé de se charger des affaires de la Société: Je souffrais beaucoup; j’avais dans moi une opposition si forte pour ne pas faire cela; je serais allé je ne sais où pour échapper; toute mon âme était brouillée; je disais bien cependant: «Mon Dieu, que votre volonté soit faite!» Je me forçais pour le dire, mais il me semblait que ce n’était pas de bon cœur. J’avais aussi de grandes tentations contre la sainte Vierge qui me portaient, oui, à n’avoir plus confiance en elle, parce qu’elle me laissait chargé de toutes ces choses, moi qui l’avais tant priée de faire autrement. Je vais à Lyon. Je vais voir monsieur Cholleton. Je ne pouvais pas aller voir des gens qui ne connaissaient pas la Société, qui ne nous connaissaient pas. D’ailleurs, il y en avait qui voyaient en nous des ambitieux. Hélas! ambitieux... Ah! ils ne savaient pas toutes les violences qu’on se faisait, combien on souffrait pour s’avancer, combien on faisait d’efforts pour faire seulement un pas en avant. Il fallait donc s’adresser à quelqu’un qui fût au courant de toutes nos affaires. Je vais à monsieur Cholleton, je lui fais ma confession, je lui dis: «Mais je ne sais pas où j’en suis. Je dis bien à Dieu que je ne veux que sa sainte volonté, mais tout se soulève en moi quand je dis cela.» Il me répondit que c’était bon, que cela suffisait, que j’étais soumis à la volonté de Dieu (OM, doc. 519, § 2-4).

Pourquoi ce conflit intérieur? Il faut nous reporter à l’année 1819, trois ans après la promesse de Fourvière. Jusque là, le nom auquel le public associe le projet de Société de Marie est celui de JeanClaude Courveille. Il a lancé le projet au séminaire, il a présidé la cérémonie de Fourvière, il se déclare fondateur et supérieur général, il se démène.

Pendant ce temps, à Cerdon, Jean-Claude Colin passe ses nuits à mettre par écrit les règles qui donneront sa physionomie à la Société. Mais Colin se sent de plus en plus mal à l’aise avec la manière dont Courveille pousse le projet: il voudrait forcer la main des évêques, il a besoin d’argent, il se promène en grand manteau bleu. Colin est dans une impasse. Laisser Courveille en charge voudra dire le laisser saborder le projet. Mais Colin a horreur de se mettre en avant. Et comment ne pas donner l’impression qu’il est simplement jaloux de l’autre? Où est son devoir? Doit-il dire non aux grâces dont il a été inondé et qui l’ont poussé à écrire la règle? Avec l’aide de Cholleton et sans doute aussi de Jeanne-Marie Chavoin, Colin entrevoit une solution dans un vœu, une promesse faite à Dieu: oui, il s’occupera des affaires de la Société, mais seulement tant que le projet n’aura pas été présenté au pape. À partir de ce moment, sans mettre ouvertement Courveille de côté, en le faisant même signer en premier, Colin prendra l’initiative des lettres à Rome et finalement, quatorze ans plus tard, il présentera au pape le dossier de la Société de Marie. Au pape maintenant de dire si oui ou non la Société de Marie est bien voulue de Dieu. Colin est bien conscient d’avoir reçu comme une grâce particulière la certitude que Dieu veut la Société de Marie. Il refuse de se fonder uniquement sur cette certitude pour aller de l’avant. Il a aussi besoin de l’assentiment de l’Église dans la personne des évêques et du pape.

Nous faisons l’expérience de la présence de Dieu dans l’Église: qu’il s’agisse d’entendre la parole de Dieu, de connaître Jésus-Christ, d’être envoyé en mission annoncer la bonne nouvelle, nous passons toujours par l’Église.

Vers la fin de sa vie, alors qu’il avait quatre-vingts ans, Colin disait: «Si je retournais à Cerdon, j’irais voir le petit cabinet de cinq pieds carrés qui était au bas de mon lit. C’est là que je passais les nuits et que j’ai écrit les premières idées sur la Société» (OM, doc. 839, § 36).