Fondation des Maristes de Puylata Menu

Editoriaux du Père Marc Perrot -Revue Lyon Maristes

Lyon-Mariste n°77 – Juin 1997

Le vocabulaire a ses modes. Un mot lancé par hasard plaît ; il est repris ; adopté par les médias, sa carrière est faite ; il devient "emblématique" d'un langage "in".

Les politiques, ces derniers temps, anoblissent la moindre attitude, la trop banale quotidienneté, en les baptisant "citoyennes".

Doutant de son réalisme, un orateur sera rassuré dès qu'il appellera à son secours le verbe "concrétiser". Et puis l'anglais fleurit sans dire son nom : "finaliser" pour conclure, "motiver", "stresser", etc.

Ces modes sont-elles toujours innocentes ?

Par exemple, l'emploi de plus en plus fréquent, l'invasion du verbe "gérer", dans la plupart des circonstances de la vie. N'y a-t-il pas un infléchissement de nos perspectives, une réduction de nos activités à leur dimension économique et, à partir de ce point de vue, une appréhension du monde assez matérialiste ? Car s'il est juste d'administrer des biens et même tout ce qui peut être soumis à l'intelligence, dominé par elle, n'y a-t-il pas une dérive "emblématique" de notre époque à vouloir gérer le temps, gérer son corps, etc. ? N'est-on pas conduit à oublier tout ce qui, dans la vie d'un Homme, ne se conquiert pas, mais ce qui est reçu, ce que l'on accueille, ce que l'on contemple, ce qui n'existe dans la conscience que si patiemment l'on s'y rend sensible ? L'art, la création, le mystère personnel ne se laisseront jamais "gérer".

A côté de ce qui est ordonnée, soumis, adapté à ce que nous percevons de la société et à ses canons, il faut pouvoir accepter l'inadaptation parfois salvatrice, l'imprévisible, l'inattendu, porteurs de lumière à qui n'est pas enfermé dans la problématique de la gestion. Un certain silence est nécessaire qui permet la distance par rapport à ce qui est trop évident, silence de respect et d'attente acceptant les longs cheminements pour que remontent à la conscience, sous cette évidence, les vrais débats et soient perçues les vraies richesses, celles qui ne se gèrent pas.